but it will be a different kind @senja

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Salem me regardait avec des yeux qui reflétait de la supplication. Cela faisait deux heures et demi qu'il courrait, grimpait, envoyait des couteaux dans l'écorce des arbres. De la sueur perlait sur son front, dans sa nuque, faisant briller certaines surfaces de son visage. Mon petit frère avait les traits tirés, les yeux cernés, les muscles en compote et les jambes flageolantes. Il s'était laissé tomber à genoux sur le tapis d'épines de sapin qui couvrait le sol. Il n'arrivait même plus à aligner deux mots. Je savais que j'étais dur avec lui, encore plus qu'avec Maila, mais la Moisson approchait de plus en plus et je ne voulais pas risquer de les perdre dans les Jeux. Je crois que je ne le supporterait pas. Alors, depuis mon propre retour des Hunger Games, dès la fin de ma Tournée du Vainqueur à vrai dire, je les entrainent. Dur. Tous les jours. Un le matin, et un le soir. Et je prenais ça très au sérieux. Un demi-sourire aux lèvres, je tendis ma main à Salem. Lève toi, c'est bon, c'est fini pour aujourd'hui. En premier lieu, il refusa l'aide que je lui proposais et essaya de se mettre debout seul. Mais ses jambes flageolaient, tremblaient tellement sous lui qu'il n'arrivait même plus à se relever sans aide. Je passai mon épaule sous son bras, ma main autour de sa taille, et je le remis sur ses pieds en moins de deux. Au lieu de me remercier, Salem me lança un de ces regards noirs dont il avait le secret et se dégagea de l'emprise que j'avais sur lui. Puis, d'un pas mal assuré, il s'avança jusqu'à la lisière de la forêt, manquant parfois de tomber, en direction du port. Je soupirai avant de suivre ses pas. Tête de mule.

Le port était bondé, comme toujours. Une forte odeur de poisson venait titiller mes narines. Depuis ma naissance, j'étais habitué des exhalaisons du lieu, que ce soit celle des fruits de mer ou celle de l'eau. L'eau. Mon élément. Ce qui me permettait de me ressourcer. Je m'approchais du bord d'un ponton, et m'allongeai sur le ventre, visage vers l'étendue d'eau en dessous de moi. Le bois chauffait sous moi, et la chaleur traversait ma chemise. La surface de l'eau était comme un miroir qui reflétait mon image. Moi aussi, j'avais une mine fatiguée. A vrai dire, je n'arrivais plus à fermer l’œil de la nuit. Comme à chaque fois que le temps entre l'instant présent et la Moisson se faisait vraiment court. Comme à chaque fois que Leven m'adressait un de ces regards noirs. Je repensai à Bonnie, que j'avais envoyé dans les mains des autres tributs dans le but qu'elle se fasse tuer par eux, pour m'éviter la tâche de l'achever moi-même. Mais au final, c'était comme si j'avais planté la lame de mon couteau dans la chair de son ventre. Cela aurait eut le même effet sur Leven, sur moi. Mais je ne pouvais pas me permettre de mourir pour elle et de laisser Maila et Salem. C'était impensable. Au lieu de ça, je me tapais des cauchemars dont personne ne connaissait l'existence. Pas même Senja. Senja. Cela faisait un bon moment que je ne l'avais pas vu et, à vrai dire, ça me manquait. J'avais envie, besoin même, de l'entendre rire, me sermonner, me faire sourire. D'entendre de nouveau la façon dont elle imitait les dauphins. De la serrer dans mes bras. De lui montrer à quel point elle compte pour moi. Et je m'assoupis.

Lorsque mes yeux se rouvrirent, le soleil n'était déjà plus à son zénith. Je clignai des paupières pour adapter ma rétine aux rayons de l'astre doré. J'avais la main dans l'eau, mon bras ayant sûrement dû trouver le chemin vers la flotte. Une fois mes yeux bien adaptés, je me redressai sur les genoux, observant autour de moi. Les marins continuaient leurs allés et venus, et aucun n'avait semblé se soucier de ce que je faisais allongé au soleil. Certes, il m'arrivait assez souvent de m'endormir ici, mais tout de même. Histoire de ne pas passer pour le dernier des imbéciles, je me remis debout et commençai à marcher pour arriver jusqu'à la plage, regardant autour de moi à la recherche de Senja. Je ne fus pas déçu. Au bout d'à peine dix minutes, mes yeux se posèrent sur sa silhouette auréolé d'une longue chevelure rousse. Même si elle était de dos, je pouvais la reconnaître. Entre mille autres jeunes femmes j'en serais tout aussi capable. Je m'avançai alors vers elle, à pas feutrés et, tandis que ma bouche n'était plus très loin de son oreille et qu'elle n'avait pas semblé m'avoir entendu arriver, je finis par lui souffler : Qu'est-ce que tu fais? Je crois n'avoir jamais aussi bien apprécié mes nombreux réflexes car la demoiselle manqua de tomber en arrière, tout juste rattraper par mes bras. Je ne pus m'empêcher de rire.

Je savais pertinemment que c’était mal et dangereux, mais quand la veille au soir Talas m’avait soufflé à l’oreille de le rejoindre sur la plage le lendemain, je n’avais pas pu refusé. Il a ce pouvoir sur moi… C’est comme si tout ce qu’il dégageait de plus dangereux et de plus sombre, m’attirait moi, la petite fille innocente, tels des aimants surpuissants. Toute le nuit je n’avait pensé qu’à « Que va t-il se passer ? Que va t-il faire ? Et si je n’y allais pas ? » Mais rien ne m’a dissuader. Rien n’aurait pu me dissuader. Que le résultat soit funeste ou non. Je me suis donc levée et ait suivi mon père sur son bateau de pêche. Je suis allée ramasser quelques coquillages et oursins dans les profondeurs, démêlant quelques filets au passage. Nous sommes rentrés au port pour déjeuner et mon excitation devait être palpable car mon père n’arrêtait pas de lever les yeux au ciel. Et moi, je marchais à travers le labyrinthe de ponton, un sourire béat et curieux accroché à mes lèvres. N’en pouvant plus, mon père m’a permise de quitter mon poste un peu en avance, et ni une ni deux, je suis partie en direction de la plage. Le soleil était haut dans le ciel ce qui m’indiqua que l’attente serait longue : une ou deux heures, soit une éternité pour moi.
Assise là sur la plage, les pieds enfoncés dans le sable, mes pensées se tournent petit à petit vers Graham. Mon cœur se serre Graham. Mon meilleur ami. Celui que j’aime. Celui qui me connaît le mieux. Celui que j’ai failli perdre. Celui… Il y a tellement de définitions pour parler de ce que représente Graham pour moi. C’est étrange pourtant, depuis sa victoire, notre relation est changé, moi qui aurait préféré que rien ne bouge dans mon petit monde presque parfait. Je ferme mes yeux un instant.
Lorsque je les rouvre, le soleil a baissé, j’ai du m’endormir. Ma peau un peu douloureuse me le confirme. J’étire mes jambes en creusant des sillons avec mes talons dans le sable fin. Il fait bon, sur ce monceau de plage. Il n’y a rien de meilleur, me semble t-il. Mais soudain, Talas refait irruption dans mon esprit. Talas. Les syllabes se détachent alors que je souffle avec bonheur son nom. Il ne devrait plus tarder…
« Qu'est-ce que tu fais ? » Mon sang se fige. Ce n’est pas la voix à laquelle je m’attendais. Alors que j’essaie de me retourner, la surprise prend possession de mon corps et me fait basculer en arrière. Mais deux bras me rattrapent de justesse avant qu’une quelconque partie de mon corps ne s’écrase sur le sol. Ma voix étranglée hurle « Tu m’as fait peur ! » Je sais que mon visage est figé dans une expression de surprise et d’horreur mais je n’arrive pas à ravaler ma grimace. Je déglutis toutefois, prend une grande inspiration et me frotte doucement le visage. Je tente de reprendre la situation en main et lui souris. « C’est à toi de me dire ce que tu fais ici, plutôt. » Je ne peux m’empêcher de lui envoyer un regard complice mais je me sens ridicule. Ce n’est pas ce que Leven ferait… Mon cœur se serre à nouveau. Pour éviter qu’il ne voit un signe de ma jalousie, je pivote la tête à gauche et à droite, tentant de voir si Talas est dans les parages. Graham va tout faire tomber à l’eau, alors que j'arrivais enfin à prendre de la distance par rapport à mes sentiments.

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Qu'est-ce que tu fais? J'aurais dû m'attendre au fait que Senja allait avoir peur en m'entendant à quelques centimètres de son oreille alors que je n'avais pas manifester ma présence auparavant. La rouquine fit un mouvement pour se retourner mais apparemment l'équilibre l'avait abandonné de tel façon à ce qu'elle tomba en arrière, arrivant tout droit dans mes bras -que j'avais à peine eut le temps de tendre d'ailleurs. Il n'empêche qu'aucune parcelle de son corps tout menu, mise à part ses pieds, n'avait eut de contact avec le sol. Je la remit totalement sur ses jambes, tandis qu'elle fit un demi-tour sur elle-même et qu'elle se mit à hurler. Tu m’as fait peur ! Le mélange entre sa voix étranglée à cause du cri qu'elle avait poussé et l'expression qui s'affichait désormais sur son visage n'eurent qu'un simple effet sur moi : je ne pu me retenir d'éclater de rire. Certes, elle n'allait guère apprécier cette réaction, mais c'était plus fort que moi : impossible à retenir. Elle affichait une telle grimace que j'avais du mal à reprendre ma respiration, à tel point que je mis une bonne poignée de secondes pour me calmer. Laissant peu à peu rentrer l'air dans mes poumons, je finis par reprendre la parole avant qu'elle ne dise quoi que ce soit Désolé, j'ai repensé à une blague de Salem et.. Et elle n'allait pas le croire car, après tout, Senja était tout sauf une idiote. Au contraire, elle était même brillante. Et drôle. Son imitation du cri du dauphin était à se rouler par terre. Et puis, elle était jolie. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que je le remarquait. Je la fixai tandis qu'elle inspirait et se frottait le visage. C’est à toi de me dire ce que tu fais ici, plutôt. Elle m'adressa alors un regard complice, comme ceux que nous n'avions plus autant échangé depuis mon retour des Jeux. Comme si quelque chose avait changé entre nous.

J'ai toujours mit ça sur le fait que j'ai offert à son petit frère une année de plus. Mais je n'aurais pas pu laisser ce gamin de douze aller dans l'arène. Ce môme qui aurait pu faire fondre le cœur le plus dur. Je l'avais vu s'avancer devant moi mort de trouille et, alors que l'annonce de son nom m'avait tétanisé, j'ai essayé d'emprunter une voix qui avait été plus calme et posée que je ne l'aurais cru pour dire que je me portais volontaire. Je me souviendrais d'ailleurs toujours du regard que m'avait lancé Senja. Comme si j'avais commit quelque chose d'irréparable. Au final, c'était le cas. Je signais mon arrêt de mort pour sauver son frère. Mais bizarrement, je ne regrettais rien. Ni sur l'estrade, ni dans l'hôtel de justice, ni dans le train, ni dans l'arène. Je n'aurais pas voulu laisser ma meilleure amie impuissante devant les écrans géants du District pendant que son cadet se battait pour survivre. C'était.. Impensable. Et puis, lors des adieux, le gamin m'avait fait promettre de revenir parce que sinon sa sœur le détesterait. Alors je suis revenu.

J'haussai les épaules. Au final, je ne savais rien de ce qui m'avait amené ici. L'eau. La grève. Ou du moins si, je savais parfaitement pourquoi je m'étais dirigé vers la plage. Pour elle. Pour la voir. Parce que ça faisait trop longtemps qu'on ne s'était pas aperçu, que l'on avait pas discuté. Je finis par dire, plantant mon regard dans le sien du mieux que je pouvais avec ses mouvements incessants de tête : Le hasard m'a porté jusqu'à toi? J'esquissai un sourire moqueur. J'avais pour habitude de me payer la tête des mecs qui parlaient comme ça, en faisant comme s'ils étaient trop philosophique. Puis, secouant légèrement la tête, je repris : Non, en fait j'avais envie de te voir. Ça faisait un moment qu'on s'était pas vu. A croire que tu m'évites! Je ris. Non, elle ne pouvait pas m'éviter comme ça. J'avais du mal à y croire, du moins.

Il avait éclaté de rire alors que j’avais réellement été effrayée. Je ne fis aucune remarque, préférant entendre son excuse avant. Au bout de quelques secondes –interminables- il parut enfin se calmer. « Désolé, j'ai repensé à une blague de Salem et.. » Je réprimais un « hmm, hmm » froid, et me frottais le visage lui demandant ce qu’il faisait ici. Graham m’avait manqué. Je pouvais le sentir jusque dans le fond de mes tripes. Mais sa présence me gênait aussi. J’avais peur qu’il me perce à jour, qu’il comprenne que mes sentiments avaient changés. Et puis, Graham signifiait Leven, et j’étais constamment jalouse, surtout en sa présence. Notre relation avait changé. Pas évolué, mais bien radicalement changé. C’est à peine si j’osais lui sourire ou le toucher. Lui prendre la main, ce qui avant aurait été un geste naturel, s’est transformé en une chose ambiguë, pleine de sous-entendu. Je regrette parfois l’ancien temps, ou tout paraissait si simple.

Il n’avait toujours pas répondu à ma question, préférant hausser les épaules. J’aurais aimé entendre qu’il voulait me voir, mais il n’avait pas l’air décidé à me le dire. « Le hasard m'a porté jusqu'à toi? » Une surprise, je ne m’y attendais point. Il esquissa un sourire moqueur. Imitation parfaite du Don Juan de bas étage. Un sourire jouait sur mes lèvres à présent. Je n’eut pas le temps de répliquer qu’il ajoutait déjà : « Non, en fait j'avais envie de te voir. Ça faisait un moment qu'on s'était pas vu. A croire que tu m'évites! » Il rit à sa remarque. Je l’évitais, c’était certain, mais je ne pouvais décemment pas lui dire « t’es tombé dans le mille ! J’ai plus envie de te voir parce que chaque fois que je croise ton visage, mon cœur éclate. » Je ris doucement de mon côté, faisant semblant de trouver cette remarque perspicace drôle. « Comment pourrais-je t’éviter Graham ?! Ca me fait plaisir de te voir aussi. » Je lui frôlait la main doucement pour appuyer mes propos, mais le contact de sa peau sur mes doigts me donna envie de pleurer. Je baissais la tête, ravalais mes larmes et proposais : « Tu veux t’asseoir ? » Je savais qu’il allait accepter, je m’assis donc, avant même d’avoir sa réponse.

« Raconte moi ce qui s’est passé dans ta vie depuis le temps ? » Je lui souris, et tente de paraître naturelle. J’ai l’impression d’être une piètre actrice. Une partie de moi veut savoir, une autre redoute. Et si Leven apparaissait dans son récit ? Si il me confiait tout son amour pour elle ? Je me persuade qu’il ne le fera pas et est tout ouïe à ce qu’il va me dire, évitant soigneusement de m’angoisser pour Leven ou Talas.

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Il me semble que c'était la première fois où nous ne nous étions pas parlé pendant autant de temps, Senja et moi. D'habitude, on trouvait toujours un moyen de discuter, d'une manière ou d'une autre. Ou alors, même si on ne parlait pas, on s'asseyait sur la grève et on regardait les vagues. C'était ces moment là qui, surtout, m'avaient poussé à me battre dans l'arène, et à faire quelque chose d'impardonnable vis-à-vis de Leven : pousser sa petite sœur jusqu'à la mort en l'envoyant dans les mains des autres tributs. Ce que la jeune Wainfleet ignorait c'était que le visage de Bonnie me revenait chaque nuit, et que je vivais très mal ce que j'avais fait malgré les apparences. Mais ça, elle ne le croirait pas. Pour elle j'étais passé du type avec lequel elle s'amusait à entretenir une relation ambiguë au connard qu'il fallait abattre. Soit. C'était compréhensible. Mais le pire, dans tout ça, c'était que j'étais probablement amoureux d'elle. Probablement.

J'avais du mal à croire que ma meilleure amie m'évitait. Après tout, je n'avais rien fait pour, si ce n'était rentrer en vie dans le District -qui aurait dû être une source de joie, à mon avis, plutôt que l'élément qui déclencherait en elle l'envie de m'éviter. Je ris donc pour cacher l'inquiétude d'une réponse positive. Si c'était vraiment ce qu'elle souhait, je n'avais plus qu'à tourner les talons et à partir, la laissant tranquille puisque tel était son désir. Ça me faisait peur. Elle finit par répondre, après avoir lâché un léger rire. Comment pourrais-je t’éviter Graham ?! Ca me fait plaisir de te voir aussi. Je restai perplexe, mais valait mieux la croire si je ne voulais pas passer pour le paranoïaque de service. De nouveau, j'haussai les épaules tandis que sa main vint frôler la mienne. J'aurais voulu la prendre et la serrer, comme autrefois, mais je n'en eu guère le temps : Senja la recula presque instantanément. Elle baissa la tête. Tu veux t’asseoir ? La rouquine n'attendit même pas ma réponse et se posa sur le sol de la plage. Je fronçai légèrement les sourcils, essayant de prendre un air détaché, comme si je n'avais guère remarqué son comportement bizarre. Et bien, moi qui avait envie de grandir, je crois que c'est rappé puisque me voilà obligé à me mettre à ta taille. M'asseyant en tailleur à ses côtés, je lui adressai un clin d’œil complice pour lui montrer que je rigolais, que ça ne me gênait guère de trouver place près d'elle, sur le sable.

J'allais reprendre la parole quand Senja me devança : Raconte moi ce qui s’est passé dans ta vie depuis le temps ? Je levai discrètement les yeux au ciel avant de réfléchir. Depuis combien de temps, exactement? Les deux dernières années durant lesquelles notre lien avait totalement changé, comme s'il s'effritait? Ou les trois semaines où nous n'avions eut aucun contact? Bonne question. Je finis par choisir la deuxième solution, ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie -que ce soit pour elle ou pour moi. Rien de bien spécial. J'entraine tous les jours Maila et Salem pendant deux heures et demi. D'ailleurs, j'en ai fini avec Salem pour aujourd'hui. Il est toujours aussi hargneux. Sinon, si tu laisse de côté ces choses là, rien. J'ai bien essayé de parler à Leven, mais je me suis pris une nouvelle claque. Ce fut à mon tour de baisser la tête, gêné. Je me sentais rougir, sans trop comprendre pourquoi. Est-ce que Leven avait autant d'emprise sur moi pour que je revienne à l'attaque de cette façon depuis mon retour des Jeux, alors que c'était quasiment peine perdue? Il allait bien falloir que je me fasse une raison, et que je passe à autre chose. Une boule se forma dans ma gorge et je posai mes coudes sur mes genoux avant de plonger mon visage dans mes mains, laissant planer le silence durant une poignée de secondes. Puis je finis par soupirer. Mais bon. J'adressai un sourire un peu triste à Senja avant de reprendre. Et toi? Tandis que je l'écoutais me raconter ce qui c'était passé dans sa vie depuis les trois dernières semaines, je me remis à penser à la question que je lui avais posé par rapport au fait qu'elle semblait m'éviter et à sa réponse. Elle n'avait pas dit 'pourquoi' mais 'comment', ce qui avait attisé ma curiosité. Une fois qu'elle eut finit, je le regardai, plantant mes yeux dans les siens, avant de rajouter : Au fait, t'as pas répondu à ma question. T'as dis 'comment' et pas 'pourquoi'. Tu cherches vraiment à m'éviter? La boule qui obstruait déjà ma gorge grossit tandis que je lui demandai.

Ce n'est pas que je n'avais plus rien à lui dire, mais j'étais tout simplement mal à l'aise en sa présence. Toujours sur le qui-vive, à analyser la moindre de ses paroles, à décrypter le moindre de ses gestes. J'étais puérile mais hélas, bien enfermée dans le jeu malsain que je m'étais instaurée. Qu'avait-il fait pour mériter ça? A vrai dire, rien, sauf sauver la vie de mon frère. Je devenais une personne digne de pitié...
Mais Graham avait ri à ma remarque, peu naturellement soit, mais il avait réagi plutôt positivement. M'asseyant, et tentant d'être le plus naturel possible, je relevais ma tête dans sa direction. « Et bien, moi qui avait envie de grandir, je crois que c'est rappé puisque me voilà obligé à me mettre à ta taille. » Il m’adressa un clin d’oeil complice tout en s’asseyant à mes côtés. Je ne relevais pas sa remarque, et plongeait mon regard dans le paysage qui nous entourait. Après un court silence, je repris la parole, lui demandant ce qui s’était passé « depuis le temps? » comme si j’avais réellement envie de le savoir. Car je savais par avance que Leven atterrirait dans la conversation pour mon plus grand malheur. « Rien de bien spécial. J'entraine tous les jours Maila et Salem pendant deux heures et demi. » Je souris à l’évocations de ses deux cadets, sa famille. Avant, avant que Graham ne soit envoyé au Hunger Games -ou plutôt avant qu’il n’y aille à la place de mon frère- nous étions une grande famille: Damis, Maila, Salem, Graham et moi. Nous nous aimions... Et puis tout a changé. « D'ailleurs, j'en ai fini avec Salem pour aujourd'hui. Il est toujours aussi hargneux. Sinon, si tu laisse de côté ces choses là, rien. » Salem, un garçon avec un très grand coeur, mais trop impulsif, et dur. Je savais qu’entraîner ses frères et soeurs avant la Moisson était primordial pour lui. Connaissant la vie aux Hunger Games, il se souciait de leur avenir. Et dire que je l’avais laissé y aller...

« J'ai bien essayé de parler à Leven, mais je me suis pris une nouvelle claque. » Pour le coup, c’est lui qui m’en mis une. Alors que j’avais totalement oublié son existence, elle revenait dans la conversation, venue de nulle part, attaquant mon pauvre petit coeur déjà bien assez meurtri. Je ravalait ma peine et évitait le regard de Graham. Il était tout à fait inutile de lui montrer que j’étais touchée par cette simple phrase. Je n’arrivais plus à le suivre, à le comprendre. Du moins plus comme avant. Avant tout coulait de source, sans même un mot, sans même un regard, je savais tout. J’anticipais. Maintenant, j’avais l’impression que nous étions deux étrangers tentant en vain d’entretenir un lien qui n’existait plus.
Je l’entendis plonger son visage dans ses deux mains. Je ne le regardais toujours pas, totalement hébétée pour je ne sais quelle raison. La fatigue d’entendre sans cesse Leven revenir dans la conversation? La lassitude d’attendre un petit geste de sa part? J’attendais toutefois qu’il reprenne la parole, trop ailleurs pour avoir le courage de faire la conversation. « Mais bon. » Il m’adressa un petit sourire triste alors que je le regardais enfin. Ce fut la goutte d’eau: cette douleur qu’elle lui infligeait -la même qu’il m’infligeait par son indifférence- me brisait le coeur pour lui. Je ne supportais pas le voir souffrir. Mais il ne me laissa pas le temps d’y songer plus et me questionna sur ma propre vie.

Pouvais-je décemment mentionner Talas et notre amitié ou plutôt relation secrète ? (enfin pas si secrète puisque nous nous affichions aux yeux de tous.) D’ailleurs, le savait-il déjà? Devais-je lui faire part du changement qui s’opérait en moi? De ma façon de penser, ou de réagir qui évoluait? Je finis par rester vague « J’aide mon père, en travaillant surtout le matin. Ma routine est la même depuis le début de l’année. En fait, le seul petit changement c’est que... Je traîne avec un garçon. Il est cool, je crois que je l’aime bien. » Qu’est ce que j’avais encore dit? Dans quoi je m’embarquais?! C’était un terrain trop glissant pour moi... Je me reprenais et pour mettre fin a cette stupide phrase j’ajoutais un pitoyable « Bref... »
Je n’eut pas le temps de dévier mon regard qu’il plantait le sien dans le mien, intésement. « Au fait, t'as pas répondu à ma question. T'as dis 'comment' et pas 'pourquoi'. Tu cherches vraiment à m'éviter? » Je sentis que sa gorge s’obstruait, qu’une certaine angoisse le submergeait. A vrai dire, la même que celle qui assaillait mon corps. Que lui dire? Je tentais de respirer profondément et soudain, je m’entendis dire d’une voix douce « Ne m’oblige pas à dire quelque chose que je regretterais.... » Etait-ce réellement moi qui parlait? Je ne me reconnaissais pas.... Je m’attendais à bégayer, à lui dire qu’il se trompait, mais j’avais fait tout le contraire. Je sentis mon visage grimacé une mine contrite. Je m’en voulais mais la machine était en marche. « Ne m’en veux pas... » Articulais-je en chuchottant.